Crise de l’immobilier : "Le marché se recentre sur des biens à forte utilité sociale"

Interview d'André Ych
Président du conseil de surveillance de CDC Habitat

Crise immobilier - interview André Ych

La presse en parle beaucoup cette année : le secteur de l’immobilier est en crise. « Crise du crédit », « inflation », « baisse de la valorisation de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) », « baisse du nombre de ventes »… Il est difficile de s’y retrouver. Maintenant que l’on dispose de quelques mois de recul, comment décrire cette crise ?

André Yché : Nous sommes ici en présence d’une crise de l’offre et de la demande, et je dois dire que c’est assez inédit. Du côté de l’offre, la hausse des coûts des matériaux de construction, de la logistique et de l’énergie s’ajoute à celle du foncier disponible suite à la loi contre l’artificialisation des sols, en contraste avec la stagnation des loyers… Si bien que les projets de construction et de réhabilitation sont difficiles à rentabiliser pour un investisseur.  D’un autre côté, la crise de la demande est liée à l’inflation et à la hausse des taux d’intérêt. On est quand même passés de 0 % il y a trois ou quatre ans à plus de 3 % aujourd’hui ! L’endettement est rendu plus difficile car la charge de l’intérêt augmente, les revenus aussi, mais moins vite, et les banques prennent moins de risques. Au final, 45 % des primo-accédants sont exclus du
crédit, donc doivent remettre à plus tard ou abandonner leur projet d’achat.

Et puis il y a les normes thermiques…

A.Y. : C’est exact, la mesure qui vise à interdire la location des biens immobiliers de catégorie F et G  à partir de 2028 pour inciter les propriétaires à effectuer de solides travaux de rénovation énergétique est déterminante. À terme, c’est huit millions de logements qui pourraient disparaître des radars… soit un quart du parc immobilier français. Je ne vois pas comment l’État pourrait ne pas adapter l’application de cette réglementation. Il y a un vrai risque d’aggravation de la crise de l’offre.

Dans ce contexte, comment juger de la qualité d’un bien ?

A.Y. : La crise est comme un révélateur de l’utilité sociale des biens, et donc de l’opportunité d’y placer des fonds. Un logement ou un bureau bien situé, de bonne qualité, desservi par les transports et proche de lieux de vie économiques et culturels trouvera toujours preneur à un bon prix. À l’inverse, un bien construit dans une optique de court-termiste, vite détérioré et jamais intégré à la vie de la cité, apparaît pour ce qu’il est réellement : purement spéculatif. Nous devrions donc observer une baisse moyenne des prix, mais pas pour les biens de qualité, par exemple ceux catégorisés A, B ou C.

Évoquer le rendement d'un bien nous amène à la crise des SCPI…

A.Y. : On peut insister sur l’importance de la qualité intrinsèque des biens immobiliers et les évolutions du marché. Dans une SPCI, vous pouvez intégrer tout type de biens. Et la recherche de rendements rapides peut pousser les sociétés de gestion à miser sur des biens de faible qualité, immédiatement loués au prix fort, mais vite détériorés et donc délaissés. Par ailleurs, les gérants ne pouvaient anticiper l’essor du télétravail et donc la crise de l’immobilier de bureau. À ce stade, la prudence semble de mise sur ce type de produit financier puisqu’il est difficile d’obtenir la garantie que la société de gestion n’a misé que sur des biens réellement qualitatifs.

Quels indicateurs nos lecteurs peuvent-ils suivre pour évaluer l’évolution de la situation ?

A.Y. : Pour moi il y a trois indicateurs majeurs. D’abord le nombre de transactions dans l’ancien. En ce moment, il est à la baisse car les vendeurs attendent un prix que les acheteurs ne peuvent payer. Une remontée du nombre de ces transactions indiquerait un rééquilibrage du marché. Ensuite il y a le volume des constructions de logements neufs. Cette année, on observe une baisse de 50 % par rapport à il y a deux ans. Enfin, le taux de rotation dans le locatif est également à suivre. Si le taux habituel est de 20 %, il s’établit à 10 % cette année. Les gens ne déménagent pas, les crises de l’offre et de la demande s’entretiennent mutuellement.

Quelles solutions envisager ? 

A.Y. : La crise est si profonde qu’il faut des mesures structurelles. D’abord, une mesure de bon sens : aidons les autorités locales à développer des projets à l’échelle de leurs villes pour créer un peu partout des unités de cents ou deux cents logements. Et puis il y a la question des surfaces commerciales. On en compte mille deux cent en France. Au moins deux cent cinquante doivent faire l’objet d’une reconfiguration lourde ou même être détruites. C’est l’occasion de créer des micro-quartiers pour relier ces surfaces commerciales à la ville. De la réduction du parking à la destruction de bâtiments liés à la grande distribution, tout est possible, mais les démarches d’urbanisme sont trop complexes pour que les choses bougent rapidement… Enfin, il faudra bien traiter les surcapacités de surface de bureaux, parfois mal situés ou obsolètes…

Pour finir, peut-on comparer cette crise à celle survenue au début des années 1990 ?

A.Y. : Je ne le crois pas car à l’époque on avait surtout assisté à une croissance excessive de l’offre et des prix, ce qui avait entraîné l’éclatement d’une bulle. Aujourd’hui, la crise semble plus durable et j’insiste sur le fait que ce qui fait la valeur d’un actif, c’est son utilité sociale. Une crise qui se prolongerait serait néfaste car on assisterait à une baisse durable de la qualité d’ensemble du parc immobilier. C’est ce qui s’était passé entre les années 1920 et 1960 et il avait fallu longtemps au secteur pour retrouver un dynamisme et une capacité de produire de l’habitat de qualité accessible au plus grand nombre.